BROUHAHA : Le journal qui fait du bruit
Lycée Giocante de Casabianca



Voyage à Bornéo

par Maud Leonetti

En Octobre 1999, paraît dans "Corse-Matin" un article présentant une expédition, menée par Patrice Franceschi à bord d’une jonque chinoise nommée "la Boudeuse" qui parcourt l’Insulinde sur les traces de l’explorateur et capitaine français Louis-Antoine de Bougainville.

Cet article proposait un concours permettant de faire partie de cette expédition. Je n’ai pas réfléchi plus d’une seconde et je décidais de me lancer dans l’aventure.

C’est ainsi qu’en février 2000 je me retrouve sur la "Boudeuse" ancrée au large de l’île de Palawan aux Philippines, où nous restons trois jours.

Tandis que le maître des lieux, "Cap'taine Franceschi" nous les fait visiter, j’admire ce bateau immense. Une trentaine de mètres en longueur sur une dizaine en largeur, avec trois mâts et de magnifiques voiles couleur sang, j’en ai le souffle coupé. J’observe autour de moi :des scientifiques s’affairent. Ils rangent leurs trouvaux pour un prochain départ en direction de la France. Bien entendu je ne peux résister à ma curiosité et leur demande si je peux les aider : Non merci, me dit-on. Pas question d’en rester là et je finis par en faire céder un.

Il m’offre gracieusement la tâche qui consiste à endormir des araignées et leurs centaines de petits ainsi qu’une multitude d’insectes. Peut-être aurais je dû lui préciser que je suis insectophobe...

Cependant je prends mon courage à deux mains et j’accomplis ce travail dont je ne suis pas vraiment fière sur le moment. Le soir tombe, mon ‘job’ terminé, je rejoins l’aimable homme qui m’a permis de communiquer avec d’aimables bestioles . Il me demande maintenant de l’aider à cacher dans des endroits insolites du bateau ses trouvailles afin que les autorités de l’île ne les lui confisque pas. Après avoir fait cela il m’explique en quoi consiste son travail une fois rentré en France.

Mais cette discussion passionnante est coupée par l’arrivée du "Cap’taine" qui nous demande de nous préparer. Nous allons faire une ‘bonne bouffe’ en l’honneur des scientifiques qui partent le demain. La soirée est très agréable, le cuistot qui est français, fait plutôt rare aux philippines, nous régale. Du moins c’est ce qu’on m’a dit; je ne peux le confirmer, à ce moment je dormais sur la table éreintée par les 20 et quelques heures de voyage passées sans dormir, et quelques cocktails qui ont fini par m’achever . Je me réveille le lendemain au tintement de la cloche à 7h00, sonnée quotidiennement par le premier lieutenant, un dur à cuir.

Je n’ai que 5h00 de sommeil qui ne m’ont pas totalement requinquée, et pourtant je me lève d’un bond, motivée par la journée qui m’attend . Nous allons à terre, pour faire des provisions afin de remplir la cambuse. Au marché ;je suis étourdie, c’est une sensation étrange...

Toutes ces odeurs que je ne suis pas habituée à renifler, c’est totalement nouveau.

Je passe d’étalages en étalages, le marché est rangé par denrées : je découvre l’odeur du poisson, puis l’odeur du sang qui provient des animaux fraîchement abattus, l’odeur agressives des épices, l’odeur des fruits sucrés.

C’est un instant surprenant où je me retrouve plongée dans une cacophonie de couleurs et de sons.

Je découvre un nouveau monde où tout est si différent de nos vies aseptisées.

Après s’être ravitaillés nous partons à bord d’un tricycle au conducteur fou, imaginez un rallye a quatre sur une moto...

Nous visitons la ville.

C’est une petite ville étalée et désordonnée, grouillant de vie.

Notre tourisme terminé, nous allons au port pour rejoindre la "Boudeuse".

Nous rencontrons en cours de route un journaliste de l’expédition. Il nous propose une ballade dans un village sur pilotis . Nous y rencontrons une population chaleureuse, curieuse de voir des êtres aussi fades que nous alors qu’ils ont une peau dorée par le soleil des tropiques.

Les enfants et les parents nous proposent d’entrer chez eux, de toutes petites cabanes, pour discuter.

Nous les écoutons jouer de la guitare, chanter des morceaux de rocks américains et européens!!

La fin de journée commence à se faire sentir, il faut retourner au bateau.

En les quittant j’ai le sentiment d’avoir appris beaucoup de ces gens pourtant si simples.

Nous passons une agréable soirée à discuter avec l’équipage. Ce soir j’ai l’immense privilège de faire la connaissance d’Edgar, un beau cafard qui vole et qui fait facilement deux fois nos petits amis européens, très agréable...

Puis avec mes camarades corses nous décidons pour la seconde nuit, de dormir sur le pont, mais cette fois avec des hamacs(la première fois étant à même le sol).

Le dernier jour au mouillage se termine.

On nous donne les dernières instructions sur le fonctionnement du bateau, nous nous exerçons pour les évacuations d’urgences en cas de naufrage, nous vérifions notre emploi du temps:vaisselle, cuisine, quarts.

Mes quarts se déroulent entre 12h00 et 15h00 et minuit et 3h00; ces moments là je dois rester sur le pont avec des jumelles à surveiller la mer pour permettre de parer à d’éventuels incidents :une barque de pêcheur que nous pourrions heurter et couler, un tronc d’arbre qui pourrait endommager la coque et nous faire couler.

Mais surtout parer à une éventuelle attaque de pirates....
Nous quittons l’île de Palawan en direction de Bornéo.

Nous prenons une mer houleuse. Bruno, un des jeunes aventuriers corses avec lesquels je suis partie a tout de suite le mal de mer ; il disparaît dans sa cabine pendant un certain temps.
Il est vrai que le bateau est relativement bas et large ce qui le fait tanguer fortement.
Pendant mon quart, je prends mon rôle de vigie au sérieux : jumelles et talkie-walkie pour prévenir mon chef de quart en cas d'éventuels dangers " chef ! embarcation de taille moyenne à 10 heures "…lui : " ok, prends 15 degré Est ", je transmets l'info au barreur qui modifie son cap.
Je passe trois heures sous une chaleur torride, un ciel laiteux et de l'eau à perte de vue. Cet espace donne une sensation de liberté infinie…
Mon quart est terminé, l'autre palanquée prend la relève. Je me réfugie dans le grand carré, lieu de détente qui fait office de bibliothèque et parfois de dortoir, où l'air est un peu plus frais. J'en profite pour me préparer un grand verre d'eau, je suis totalement déshydratée ; je prends une première gorgée, quelle horreur: j'avais oublié ! l'eau pendant ces quelques jours de mer sera à demi salée, c'est pas grave l'aventure c'et l'aventure !
Je suis dans un état de somnolence, bercée par les roulis, douce paresse.
Un membre de l'équipage s'approche de moi et me dis de me rendre sur le pont ; j'y vais immédiatement.
C'est alors un spectacle inoubliable qui s'offre à mes yeux, plus d'une dizaine de dauphins est tout près du bateau.
Sans se soucier de nous, ils suivent leur route et s'éloignent tout doucement. Je reste un moment à contempler l'immensité qui nous entoure . mais je suis rappelée à l'ordre, c'est l'heure de la corvée de cuisine. Je n'ai pas grand chose à faire, à part peut être éplucher quelques légumes. Mon chef de corvée, véritable cordon bleu, prend tout en main. Je mets le couvert dans le petit carré et fait sonner le dîner.
Après ça, je me prépare à prendre mon prochain quart qui se déroule de minuit à trois heures du matin. J'enfile un ciré et me rend sous une pluie diluvienne à mon poste.

Je passe trois longues heures, avec mes compagnons de galère, à tendre l'oreille au moindre bruit qui présagerait un abordage, et à essayer de ne pas passer par dessus bord lorsque le bateau tangue. La relève, à demi éveillée, arrive pour prendre son tour. Nous leur indiquons qu'il n'y a rien et à signaler et partons nous coucher.

Le deuxième jour, Bruno, mal en point, est toujours enfermé dans sa cabine. Avec Françoise et Fred, nous apprenons à faire des no euds marins.
Notre journée est ainsi rythmée de nos quarts et corvées, notamment de vaisselle ; en pleine mer ce n'est pas une paire de manche ! il faut jeter un seau rattaché par une corde à la mer, et faire en sorte de ne pas se faire arracher le bras ou encore passer nous même par dessus bord…
je ne suis pas très douée pour la vaisselle en condition normale mais alors là je me suis surpassée !
Ce jour là, j'ai l'autorisation de barrer ; c'est extrêmement grisant de sentir qu'on dirige seule un si grand bateau …

Ce soir ça fait un peu plus de 24 heures que nous n'avons pas vu âme qui vive, pourtant lorsque je dois prendre la relève, mes prédécesseurs me disent de surveiller avec une extrême prudence les lueurs d'un bateau qui est à quelques miles de nous. Avec mes coéquipiers nous surveillons avec angoisse ces lumières qui se font progressivement plus nettes ; heureusement, elles finissent par disparaître comme elles sont apparues et nous pouvons partir nous coucher en toute sûreté.
Le troisième jour de navigation est assez piquant :
A 6 heures ce matin tout l'équipage paré de cirés est sur le pont. Nous attendons sous une pluie fine de passer l'équateur. Selon la coutume, ceux qui passent pour la première fois la ligne de l'équateur, doivent être baptisés ; c'est à dire les aventuriers en herbe, les organisateurs du concours en corse, ainsi que deux ou trois autres personnes.

Arrivés depuis deux jours à Bornéo, nous n'avons rien fait d'extraordi­naire: nous avons assisté à un grand dîner organisé par les grands dirigeants de TOTAL, nous avons fait visiter le bateau aux élè­ves de la ville, à ses di­rigeants indonésiens...

Mais cette « aventure » n'est pas celle que nous voulons avec Fred et Françoise: nous voulons voir autre chose que les super­marchés climatisés, les restaurants aux vaisselles fines, et les couverts en argent. Aussi, nous profitons notre temps libre pour or­ganiser une escapade à l'intérieur des terres nous commençons à nous préparer pour une semaine de marche à travers la jungle. Malheureusement, Cap'taine Franceschi nous annonce que l'expédition que nous souhaitons faire ne devra durer qu'une journée(...!) ; nous marchandons pour en avoir trois.

Lorsque nous réussissons à partir, nous avons l'occasion de traverser durant quelques heures, la campagne indonésienne : paysage verdoyant, ciel blanc aveuglant, qui nous ravissent les yeux.

Ces quelques heures restent aujourd'hui des moments inoubliables.

Après notre arrivée en bus à Samarinda, petit port à l'est de Bornéo, nous al­lons prendre un `beat people' un petit bateau qui transporte marchandi­ses et passagers, qui nous permettra de retrouver "la boudeuse" dans un lieu donné . Nous nous rendons avec Sylvain Giannini, meneur de cette expédition ter­restre, au port, pour trouver ce bateau. Après avoir récolté quel­ques renseignements, nous apprenons que ce bateau part tous les jours vers 16hO0. Or aujourd'hui, que ce soit les dirigeants du pe­tit hôtel où nous allons passer la nuit, les policiers, les personnes travaillant au port, tous nous répondent, un sourire en coin, qu'il n'y a pas de bateau. Nous n'arrivons pas et nous n'arriverons sans doute jamais à percer ce mystère... Obligés de rester en ville jusqu'au lendemain, sans savoir si cette fois nous pourrons partir, nous décidons de visiter Samarinda.

Nous avons besoin d'argent pour diverses raisons et nous ne possédons que des dollars ; je me renseigne pour savoir où je pourrais trouver un bureau de change ; Sans avoir le temps de m'en rendre compte, je me retrouve embarquée der­nière un petit bonhomme sur une motocyclette. Nous parcourons la ville au travers d'une circulation folle. Je ferme les yeux en espérant rester en un seul morceau. La personne qui me conduit ne parle ni anglais, ni français, seulement indonésien : évidemment, je ne parle pas un traitre mot de cette langue ! (je sais seulement dire selamat pagi :bonjour, ba­gus :bien, tida bagus : pas bien) quand je rouvre les yeux, je me retrouve seule, dans une petite rue, je ne sais où ; Je suis bien vivante et ravie: quelle aven­ture !

Enfin de retour à l'hôtel, saine et sauve, avec de la monnaie locale, je pars avec mes comparses passer une agréable fin de journée.

Le lendemain nous som­mes parés pour une nou­velle journée qui débute par une sortie à quelques kilomètres de la ville, en direction d'un musée : musée d'une grande sobriété... Lorsque nous revenons, nous nous rendons au port en nous demandant si nous resterons bloqués en ville. Mais cette fois est la bonne : le bateau part. Dès l'instant où nous embarquons et que nous commençons à quitter le quai c'est un moment chargé d'émotions...

Le voyage doit durer plusieurs heures : partis à 17hOO, nous n'arriverons le lendemain qu'aux alentours de 8hOO. Le bateau mesure une quinzaine de mètres en lon­gueur, et à peu près six mètres de large. Comme il est bondé, nous partons chercher de la fraîcheur sur le toit du pont. Nous observons le paysage, les villages sur pilotis, la forêt. La nuit tombe rapidement, et nous commençons à avoir faim.

Nous prenons nos boîtes de rations militaires. A l'intérieur se trouve tout le matériel nécessaire de quoi réchauffer nos conserves ; ceci intrigue beaucoup les jeunes indonésiens.

Ils s'installent naturellement autour de nous, et nous regardent manger goulûment notre frugal repas. C'est ainsi que cous commençons à faire connaissance ; malgré la barrière des langues, nous réussissons à nous comprendre grâce à quelques mots d'anglais, grâce à des gestes.

Nous parlons une grande partie de la nuit de nos vies, ils nous lisent les lignes de la main, ils nous apprennent quelques mots d’indonésien…

Un moment magique qui restera gravé dans ma mémoire.

Nous finissons par nous assoupir, fatigués. La pluie arrive subitement et nous oblige à descendre du toit ; à l'abri nous n'avons pas de place pour dormir. Pourtant nous nous débrouillons : Françoise, morte de fatigue se jette sur nos sacs et sombre dans un profond sommeil ; Fred et moi nous mettons dos à dos et nous cher­chons à dormir assis, quant à Bruno il ronfle, écroulé sur le sol; au pe­tit matin, un paysan me cède généreusement sa place. je m'endors entre deux d'entre eux.

Quelques heures plus tard nous arrivons à destination ; la belle Boudeuse nous y attend. Pendant quelques jours notre aventure continue. Nous allons nous promener pendant des heures à travers la «campagne indonésienne».

Nous allons nous perdre dans la forêt de Bornéo avec Sylvain Giannini : il nous a fait faire la plus belle ballade de notre vie. Nous aurons aussi l'occasion de plonger avec masque et tuba près d'une île appelée «l'île aux tortues» ; ce que vous imaginez en entendant ces mots est en dessous de la réalité!

Ensuite, il nous a fallu rentrer.

Grâce à ce voyage, j'ai eu l'occasion de découvrir un monde à part. J'ai découvert une autre manière de vivre, j'ai découvert une autre culture, j'ai découvert la tolérance, j'ai découvert un peuple chaleureux. J'ai pris conscience que nous devrions tous arrêter de nous regarder le nombril, et peut être prendre de la graine de ces «bartares», de ces «sauvages»...

Maud Leonetti

NB: Il y a quelques semaines la Boudeuse devait arriver en Corse. Malheureusement la jonque a achevé son voyage mouvementé en faisant naufrage au large de Malte.