Je passe trois longues heures, avec mes compagnons de galère,
à tendre l'oreille au moindre bruit qui présagerait un abordage,
et à essayer de ne pas passer par dessus bord lorsque le bateau
tangue. La relève, à demi éveillée, arrive pour prendre son tour.
Nous leur indiquons qu'il n'y a rien et à signaler et partons
nous coucher.
Le deuxième jour, Bruno, mal en point,
est toujours enfermé dans sa cabine. Avec Françoise et Fred, nous
apprenons à faire des no euds marins.
Notre journée est ainsi rythmée de nos quarts et corvées, notamment
de vaisselle ; en pleine mer ce n'est pas une paire de manche
! il faut jeter un seau rattaché par une corde à la mer, et faire
en sorte de ne pas se faire arracher le bras ou encore passer
nous même par dessus bord…
je ne suis pas très douée pour la vaisselle en condition normale
mais alors là je me suis surpassée !
Ce jour là, j'ai l'autorisation de barrer ; c'est extrêmement
grisant de sentir qu'on dirige seule un si grand bateau …
Ce soir ça fait un peu plus de 24 heures que nous n'avons pas
vu âme qui vive, pourtant lorsque je dois prendre la relève, mes
prédécesseurs me disent de surveiller avec une extrême prudence
les lueurs d'un bateau qui est à quelques miles de nous. Avec
mes coéquipiers nous surveillons avec angoisse ces lumières qui
se font progressivement plus nettes ; heureusement, elles finissent
par disparaître comme elles sont apparues et nous pouvons partir
nous coucher en toute sûreté.
Le troisième jour de navigation est assez piquant :
A 6 heures ce matin tout l'équipage paré de cirés est sur le pont.
Nous attendons sous une pluie fine de passer l'équateur. Selon
la coutume, ceux qui passent pour la première fois la ligne de
l'équateur, doivent être baptisés ; c'est à dire les aventuriers
en herbe, les organisateurs du concours en corse, ainsi que deux
ou trois autres personnes.
Arrivés depuis deux jours à Bornéo,
nous n'avons rien fait d'extraordinaire: nous avons assisté à
un grand dîner organisé par les grands dirigeants de TOTAL, nous
avons fait visiter le bateau aux élèves de la ville, à ses dirigeants
indonésiens...
Mais cette « aventure »
n'est pas celle que nous voulons avec Fred et Françoise: nous
voulons voir autre chose que les supermarchés climatisés, les
restaurants aux vaisselles fines, et les couverts en argent. Aussi,
nous profitons notre temps libre pour organiser une escapade
à l'intérieur des terres nous commençons à nous préparer pour
une semaine de marche à travers la jungle. Malheureusement, Cap'taine
Franceschi nous annonce que l'expédition que nous souhaitons faire
ne devra durer qu'une journée(...!) ; nous marchandons pour en
avoir trois.
Lorsque nous réussissons à partir,
nous avons l'occasion de traverser durant quelques heures, la
campagne indonésienne : paysage verdoyant, ciel blanc aveuglant,
qui nous ravissent les yeux.
Ces quelques heures restent aujourd'hui
des moments inoubliables.
Après notre arrivée en bus à Samarinda,
petit port à l'est de Bornéo, nous allons prendre un `beat people'
un petit bateau qui transporte marchandises et passagers, qui
nous permettra de retrouver "la boudeuse" dans un lieu
donné . Nous nous rendons avec Sylvain Giannini, meneur de cette
expédition terrestre, au port, pour trouver ce bateau. Après
avoir récolté quelques renseignements, nous apprenons que ce
bateau part tous les jours vers 16hO0. Or aujourd'hui, que ce
soit les dirigeants du petit hôtel où nous allons passer la nuit,
les policiers, les personnes travaillant au port, tous nous répondent,
un sourire en coin, qu'il n'y a pas de bateau. Nous n'arrivons
pas et nous n'arriverons sans doute jamais à percer ce mystère...
Obligés de rester en ville jusqu'au lendemain, sans savoir si
cette fois nous pourrons partir, nous décidons de visiter Samarinda.
Nous avons besoin d'argent pour diverses
raisons et nous ne possédons que des dollars ; je me renseigne
pour savoir où je pourrais trouver un bureau de change ; Sans
avoir le temps de m'en rendre compte, je me retrouve embarquée
dernière un petit bonhomme sur une motocyclette. Nous parcourons
la ville au travers d'une circulation folle. Je ferme les yeux
en espérant rester en un seul morceau. La personne qui me conduit
ne parle ni anglais, ni français, seulement indonésien : évidemment,
je ne parle pas un traitre mot de cette langue ! (je sais seulement
dire selamat pagi :bonjour, bagus :bien, tida bagus : pas bien)
quand je rouvre les yeux, je me retrouve seule, dans une petite
rue, je ne sais où ; Je suis bien vivante et ravie: quelle aventure
!
Enfin de retour à l'hôtel, saine
et sauve, avec de la monnaie locale, je pars avec mes comparses
passer une agréable fin de journée.
Le lendemain nous sommes parés pour
une nouvelle journée qui débute par une sortie à quelques kilomètres
de la ville, en direction d'un musée : musée d'une grande sobriété...
Lorsque nous revenons, nous nous rendons au port en nous demandant
si nous resterons bloqués en ville. Mais cette fois est la bonne
: le bateau part. Dès l'instant où nous embarquons et que nous
commençons à quitter le quai c'est un moment chargé d'émotions...
Le voyage
doit durer plusieurs heures : partis à 17hOO, nous n'arriverons
le lendemain qu'aux alentours de 8hOO. Le bateau mesure une quinzaine
de mètres en longueur, et à peu près six mètres de large. Comme
il est bondé, nous partons chercher de la fraîcheur sur le toit
du pont. Nous observons le paysage, les villages sur pilotis,
la forêt. La nuit tombe rapidement, et nous commençons à avoir
faim.
Nous prenons
nos boîtes de rations militaires. A l'intérieur se trouve tout
le matériel nécessaire de quoi réchauffer nos conserves ; ceci
intrigue beaucoup les jeunes indonésiens.
Ils s'installent
naturellement autour de nous, et nous regardent manger goulûment
notre frugal repas. C'est ainsi que cous commençons à faire connaissance
; malgré la barrière des langues, nous réussissons à nous comprendre
grâce à quelques mots d'anglais, grâce à des gestes.
Nous parlons
une grande partie de la nuit de nos vies, ils nous lisent les
lignes de la main, ils nous apprennent quelques mots d’indonésien…
Un moment magique
qui restera gravé dans ma mémoire.
Nous finissons
par nous assoupir, fatigués. La pluie arrive subitement et nous
oblige à descendre du toit ; à l'abri nous n'avons pas de place
pour dormir. Pourtant nous nous débrouillons : Françoise, morte
de fatigue se jette sur nos sacs et sombre dans un profond sommeil ;
Fred et moi nous mettons dos à dos et nous cherchons à dormir assis,
quant à Bruno il ronfle, écroulé sur le sol; au petit matin, un
paysan me cède généreusement sa place. je m'endors entre deux d'entre
eux.
Quelques heures
plus tard nous arrivons à destination ; la belle Boudeuse nous
y attend. Pendant quelques jours notre aventure continue. Nous
allons nous promener pendant des heures à travers la «campagne
indonésienne».
Nous allons
nous perdre dans la forêt de Bornéo avec Sylvain Giannini : il
nous a fait faire la plus belle ballade de notre vie.
Nous aurons aussi l'occasion de plonger avec masque et tuba près
d'une île appelée «l'île aux tortues» ; ce que vous imaginez
en entendant ces mots est en dessous de la réalité!
Ensuite, il
nous a fallu rentrer.
Grâce à ce
voyage, j'ai eu l'occasion de découvrir un monde à part. J'ai
découvert une autre manière de vivre, j'ai découvert une autre
culture, j'ai découvert la tolérance, j'ai découvert un peuple
chaleureux. J'ai pris conscience que nous devrions tous arrêter
de nous regarder le nombril, et peut être prendre de la graine
de ces «bartares», de ces «sauvages»...
Maud Leonetti
NB: Il y a quelques
semaines la Boudeuse devait arriver en Corse. Malheureusement
la jonque a achevé son voyage mouvementé en faisant naufrage au
large de Malte.