
Un spécialiste
Todorov, linguiste et philosophe, disait : " Il est libérateur de ne pas enfermer le passé en le socialisant
mais d'en faire un objet vivant de débat."
Cette phrase à elle seule pourrait résumer la démarche des deux cinéastes israéliens Rouy Brauman et Eyal
Sivan. En effet, après avoir visionné les 350 heures du procès Eichmann, les deux hommes ont décidé de
faire un film où, de manière objective, ils donnent la parole au personnage en toute liberté et laissent
au spectateur le soin d'établir son propre jugement sur le sort d'Eichmann.
Il serait préférable d'abord de restituer chronologiquement Eichmann dans l'Histoire : Eichmann est un
homme rusé qui a su, de par son engagement hitlérien, gravir les échelons sociaux. A la fin des années
trente, en pleine période de rafles antisémites, il négocie et supervise l'émigration, aussi appelée
"émigration accélérée " vers la Palestine de certains juifs. Avec l'avènement de la guerre, le Reich
passe de l'épuration ethnique à l'extermination, instaurée par la conférence de Wansee de janvier 42
(codée sous le nom de solution finale) où Eichmann était effectivement présent. C'est lui-même qui,
avec le grade de lieutenant colonel SS, organise les déportations vers les camps d'extermination. A la
fin de la guerre, il embarque pour l'Argentine où il travaille comme vendeur chez Mercedes. Or, ironie
du sort, un juif aveugle le reconnaît à sa voix et il sera enlevé par les services secrets israéliens
en 1960. Son procès débutera à Jérusalem le 11 avril 61 puis il sera pendu en 62 et incinéré.
Dans le Spécialiste, tout le travail des cinéastes consiste, grâce au montage des images, à en faire
un homme banal et ridicule se dissimulant derrière une tactique de défense où il refuse la responsabilité
des crimes commis sur les Juifs, n'hésitant pas à invoquer l'obéissance aveugle aux ordres, à la législation
du crime par l'Etat, à la logique de l'époque. De ce fait, quand le juge évoque le courage qui aurait
permis que les choses se passent autrement, il se réfère à la logique de l'époque en répondant spontanément
"Bien sûr, si le courage civil avait été structuré hiérarchiquement".
Les cinéastes ont insisté sur la psychologie du personnage, la caméra est figée quasiment sur l'image
d'Eichmann afin de mieux cerner le personnage. L'attitude d'Eichmann peut prêter à confusion, derrière
cette gestuelle quasi-juvénile de rituels obsessionnels, se levant et s'asseyant pour répondre aux
questions. Il convient ici de se demander si Eichmann est vraiment le minable et servile bureaucrate
qu'il dit être ou bien un formidable acteur.
Ce film se veut rompre avec l'émotion en n'insistant pas sur les récits des victimes, en y insérant
seulement quelques fragments de témoignages, toujours dans un but d'objectivité.
Concernant la culpabilité, il est évident que quels que soient les arguments mis en avant par Eichmann,
il est condamnable pour son attitude servile. Quand il déclare " je n'avais rien à faire avec les
commandements de tueurs, je n'avais rien d'autre à faire qu'à emmener les gens pour qu'ils se fassent
tuer ", on pourrait se demander quelles différences il y a entre emmener les gens à la mort et les tuer.
Ce film est une réflexion qui s'ouvre au spectateur sur la notion de responsabilité et de " la banalité du mal
"dans les sociétés modernes, car d'après Lanzmann :" l'Holocauste est un événement historique à part
entière ", le produit, monstrueux certes, de l'obéissance aveugle aux supérieurs d'Eichmann et de tous
les autres nazis. On peut se demander à qui incombe la responsabilité des massacres abominables des
juifs. Uniquement aux supérieurs ? Aux fonctionnaires du régime nazi ? Ou également à ceux qui ont
laissé faire c'est à dire l'Europe tout entière ?
On peut voir aussi à travers ce film une remise en cause du libre arbitre de l'homme. L'homme est lui-même
sa propre loi morale. Affirmer, comme le font Eichmann et bien d'autres, avoir été des instruments entre
les mains de leurs supérieurs, est un des principes du libre arbitre.
Lorsque le procureur énonça les charges, nous promit un monstre nazi à juger, on s'attendait à la difformité
ou l'arrogance faites homme, à un démon... Derrière sa cage de verre la bête nous attend, et que découvrons-nous ?
Un homme tout ce qu'il y a de plus banal.
Cet homme n'a pas réellement l'air d'un tueur sanguinaire. D'une intelligence moyenne, n'ayant rien accompli
d'extraordinaire dans sa vie, poli, propre sur lui, il pourrait passer pour votre voisin. Et pourtant,
cet homme a fait parti des SS. Pas en temps que cuisinier, mais dans un poste réellement important,
celui de lieutenant colonel dans les Totenkof SS, la branche spécialisée dans les camps et les opérations
de " police " à l'arrière, des hommes à la limite de la psychopathie. Certains pourraient dire qu'il
n'était pas chargé des camps. Oui, mais il les remplissait.
A écouter Eichmann, il n'aurait jamais su ce que transportaient les trains. Il serait innocent. "Moi
j'exécutais les ordres, d'ailleurs je n'ai jamais participé à une déportation. Ce sont mes supérieurs
qu'il faudrait juger ", affirme-t-il pour sa défense.
Bien entendu il n'a jamais tué de ses mains, mais il était tout à fait au courant de la destination de
ses trains et du sort réservé aux passagers. Il est d'ailleurs fier d'être un spécialiste, de son sens
de l'organisation, il est donc totalement coupable. Il savait, a participé activement, avec une rigueur
et un zèle hors du commun. Personne ne l'a forcé à rentrer dans le système auquel il appartenait. On
peut même dire qu'il y avait un écrémage pour y rentrer, qu'il fallait avoir une certaine façon de voir
les choses pour simplement pouvoir s'inscrire et postuler à certains postes...
On ne peut pas réellement dire que c'est la société de l'époque qui l'a forcé à devenir ce qu'il est
devenu, car il fait partie de tous ces gens qui l'ont changée en adhérant à l'ordre noir. Ils étaient
prêts à tout, y compris à tuer et mutiler pour y parvenir.
Eichmann, vu son grade et sa fonction, était un maillon très important de cette vaste chaîne. Il était
reconnu comme un spécialiste et en était fier, il le répétera souvent.
Le plus dur est de penser que cet homme pourrait être n'importe qui, que nous sommes tous des Eichmann
en puissance.
Himmler, quant à lui, appartient à la bourgeoisie allemande. Poète à ses heures, végétarien, il est pourtant
le chef des SS, alors que rien ne le prédestinait au sadisme (preuve qu'il faut toujours se méfier des
végétariens). Qu'est-ce qui a pu conduire ces gens à ce point de non-retour ? Eichmann donne une réponse :
il était jeune et idéaliste. Cependant son idéal était pourri. Il ne rêvait pas d'un monde meilleur,
dont nous pourrions rêver nous aussi, mais d'un monde où il aurait fait partie de la caste dirigeante,
asservissant les autres races ou les détruisant selon les besoins... Si son idéal est de posséder un
matériau humain pouvant être détruit quand il devient inutile à l'ordre établi, alors il est encore
plus condamnable.
S'il avait eu le désir de se repentir, il aurait quitté les SS bien plus tôt. Le bourrage de crâne ne
fait pas tout. S'il avait été réellement humain, vu sa place, il aurait pu ralentir la déportation ou
bien tout simplement démissionner. Mais à vrai dire, chez Eichmann, pas de sentiments : une signature,
et un millier de personnes partent pour ne plus revenir.
Ce qui par contre est condamnable, c'est que l'Etat qui va le pendre et qui a subi pour une partie de
sa population les lois raciales instaurées par le nazisme en reprennent certaines, comme l'annexion de
certaines parties de la Palestine et l'officialisation de la torture... contre les Palestiniens.
Uriel Fastré et Rachida Rougi
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Révélations
Fiche technique :
Réalisateur : Michael Mann
Scénario : Michael Mann et Eric Roth
Année : 2000
Durée : 2 h 38
Interprètes : Al Pacino , Russell Crowe , Christopher Plummer , Diane Verona , Philip Baker Hall
Titre original : " The insider ".
Genre : Thriller politique américain .
Résumé :
Jeffrey Wigand , un grand scientifique travaillant pour l'un des plus importants fabricants américain de
cigarettes (Browm et Williamson) , est licencié du jour au lendemain pour avoir tenté de contrecarrer les
noirs desseins de la société . Cependant il décide , avec l'aide de Lowell Bergman producteur de l'émission
à succès " 60 minutes " et journaliste invétéré , de violer la clause de confidentialité qui le lie à son
employeur .
Et de dévoiler publiquement les manipulations dont font l'objet les fumeurs , qu'on cherche à rendre de
plus en plus accros , en ajoutant des substances telles que l'ammoniaque à la nicotine .
Critique :
De cette histoire vraie , Michael Mann a tiré un film choc . En effet , dans un pays ou tout commence et
se finit par un procès , comment peut-on envisager un instant de porter des accusations aussi violentes
envers l'industrie la plus puissante d'Amérique : Le tabac . " Révélation " renoue donc avec le cinéma de
la contestation dans la lignée de " JFK " d'oliver Stone ou aux " Hommes du président " de Pakula . Car
il s'agit bien ici d'un cinéma contestataire , il faut savoir que Michael Mann n'a même pas pris la peine
de changer le nom des personnages : Lowell Bergman (interprété par le géantissime Al Pacino) et jeffrey
Wigand (Russel Crowe) , ainsi que tous les autres ne sont affublés d'aucun pseudonyme . C'est ici que
réside la force du film et c'est en cela que les marchands de morts ne sont pas l'unique cible de " Révélation "
qui fustige aussi la presse . Michael Mann rend cependant un hommage vibrant aux vieux briscards du
journalisme d'investigation en la de Lowell Bergman et Mike Wallace présentateur star de CBS .
Ainsi , après le fabuleux " Heat " , Michael Mann signe un film stupéfiant , habile et spectaculaire dans
lequel on retiendra la force du sujet ; l'efficacité d'une mise en scène qui entretient le suspense de la
première à la dernière image ; la qualité de l'interprétation , et en particulier celle de Russel Crowe
qui , impressionnant dans le registre de l'homme brisé , fait jeu égal avec Pacino .
En un mot , " Révélations " est un film d'une rare puissance . Très conseillé en prime à ceux qui veulent
arrêter de fumer .
Julien Meynet
American history X
Film didactique, American History X est à la fois un drame sociologique et une chronique de la haine.
D'un impact émotionnel fort, il témoigne de manière touchante des relations fraternelles au sein d'une
atmosphère néo nazie.
En effet, Dereck, interprété par Edward Norton, se façonne une armure de haine pour masquer les frustations
de la souffrance nées de la mort de son père, tué par un noir.
Son physique est l'ultime manifestation de sa rage, de son arrogance et de sa bestialité.
Le mimétisme de Danny, son petit frère, interprété par Edward Furlong, qui lui aussi se laisse aller au
piège de la violence racoleuse, est justifiée par une idolâtrie illimitée de ce garçon envers son frère
devenu la figure paternelle de substitution.
C'est d'ailleurs par l'intermédiaire d'une dissertation que le proviseur demande à Danny qu'est évoqué le
cheminement de l'aîné. Nous découvrons alors un Dereck qui n'est pas monolithique et qui évolue avec douleur
vers une certaine rédemption, ce qui nous fait éprouver de la compassion envers ce type qui paye ses erreurs
au prix fort.
Ce film est, donc, un véritable cours d'éducation civique délivrant le message que " la haine est une saloperie
et que la vie est trop courte pour s'y laisser aller ".
La qualité première de ce film est que Tony Kaye, le réalisateur, délaisse le phénomène de masse pour cibler
l'individu et la contamination par le mal.
La rédemption de Dereck est martelée par le message que le racisme c'est de l'ignorance, mais surtout la
perception angoissée du changement.
C'est d'ailleurs en ces termes que le film se clôt, Tony Kaye voulant par cette ultime citation entraîné
le spectateur sur le chemin de la réflexion : " Nous ne sommes pas ennemis, mais amis, nous ne devons pas
être ennemis même si la passion nous déchire, elle ne doit pas briser l'affection qui nous lie. Les cordes
sensibles de la mémoire vibreront dès qu'on les touchera, elles recommenceront au contact de ce qu'il y a
de meilleur en nous ".
Stéphane Tallinaud
Victoria Tristani-Guihomat

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